Réunir le gouvernement, les syndicats des infirmiers et l’Ordre national des infirmiers de la RDC est un défi que le président national de l’ONIC, André Louis KOMBA DJEKO s’est donné dans son discours prononcé le 12 mai 2023, à l’occasion de la célébration de la journée internationale des infirmières.
La journée internationale des infirmières est célébrée le 12 mai de chaque année pour commémorer l’anniversaire de naissance de Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers modernes.
Pour cette année, le thème international retenu par le Conseil international des infirmières (CII) est : « Nos infirmières. Notre futur. »
Dans son discours officiel, prononcé devant la communauté infirmière venue nombreuse pour commémorer cette journée leur dédiée, le président national de l’ordre des infirmiers de la RDC, a appelé le gouvernement, les syndicats des infirmiers, ainsi que l’ONIC de se mettre ensemble autour d’une table pour élaborer des politiques et des stratégies pour valoriser, protéger, respecter et investir dans les infirmières pour un avenir durable des soins infirmiers et de la santé.
Comment va-t-il s’y prendre quand on sait que d’une part, le gouvernement ne joue pas franc jeu dans les négociations avec les syndicats des infirmiers, et souvent il est réticent à appliquer même ses propres textes des lois et engagements librement consentis ?
D’autre part, on se pose la question de savoir si les syndicats des infirmiers, compté à ce jour au nombre de quatre voire cinq, et travaillant souvent en ordre dispersé, sauront-ils pour l’intérêt de la profession, travailler ensemble ?

Avant de répondre à ces préoccupations, nous allons exploiter les grandes lignes de ce discours bilan, revisitant le passé et le présent, et projetant l’avenir dans un style interrogatif.
« Qui nous étions hier, qui nous sommes aujourd’hui, et qui voulons-nous être demain ?»
C’est la question de réflexion que le président KOMBA DJEKO a adressée à ses confrères et consœurs de la profession infirmière.
L’infirmier Congolais a connu une évolution logiquement liée à l’évolution même du pays.
Auxiliaire depuis l’époque coloniale, ayant une formation généralement secondaire, malgré l’évolution de sa formation en période post coloniale, ce statut n’a changé qu’après la promulgation de la loi no16/015 du 15 juillet 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’ordre national des infirmiers de la RDC.

A ce jour, l’infirmier Congolais jouit d’une autonomie et d’une indépendance lui reconnue par la loi sus-évoquée. Il est membre à part entière de l’équipe de santé, et représente 74% du personnel de la santé en RDC, à en croire les statistiques de l’observatoire des services publiques en 2015.
En termes de formation, de nos jours, l’Universitarisation de la profession infirmière permet de compter plusieurs infirmiers gradués, licenciés, maîtres, et docteurs en sciences infirmières. Toutefois, la formation des infirmiers diplômés d’état (A2) continue, celle des auxiliaires (A3) étant supprimée depuis bientôt une décennie.
Avec l’avènement de l’ordre, les voix se lèvent également en faveur de la suppression de la formation des infirmiers diplômés. Pour réserver la profession infirmière, avec l’application du système LMD en RDC, aux seuls infirmiers universitaires.
Cette tendance n’est pas unanime. Certaines langues voudraient que la formation des infirmiers A2 continue vu l’importance de cette catégorie d’infirmiers dans la réalisation des soins infirmiers de base. Soins délégués souvent aux gardes malades.
Dans cette perspective, il sied de rappeler que la qualité de la formation des infirmiers est au rabais, comme c’est le cas d’ailleurs dans d’autres professions. Il s’observe la prolifération des écoles, instituts supérieurs et universités de formation en sciences infirmières dont la plupart ne répondent à aucun critère de viabilité.
L’Ordre national des infirmiers, organe régulateur ayant un regard sur les programmes de formation et d’évaluation, a du pain sur la planche. Il est urgent que l’inspection professionnelle, son bras séculier, soit mise en place pour permettre l’accréditation des écoles répondant aux normes de viabilité préalablement établies. Tout en encourageant une formation des infirmières sur les pratiques avancées.
L’ordre devrait également appliquer à la lettre les conditions d’inscription au tableau de l’ordre, notamment en instaurant un test obligatoire pour tout candidat à l’inscription. Cela aura pour conséquence la sélection ultime, afin de réserver l’exercice de la profession infirmière aux infirmiers et infirmières compétentes.

Notons par ailleurs que sur le plan politico-administratif, l’infirmier est toujours moins représenté dans les institutions de prises des décisions. Actuellement le poste de l’inspecteur général de la santé est valablement occupé par un infirmier. Quelques infirmières sont députées nationales et provinciales, d’autres sont sénatrices. Pour la première fois, une infirmière a assumé les fonctions de vice-ministre de la santé.
« Qu’est-ce que les syndicats ont fait hier, qu’est-ce qu’ils font aujourd’hui, et qu’est-ce qu’ils feront demain, pour améliorer les conditions des vies et de travail des infirmières ?»
Telle est la question que le président national de l’ONIC a adressée aux syndicats des infirmiers, dans son discours du 12 mai 2023.
La profession infirmière en RDC compte à ce jour plus de quatre syndicats officiellement reconnus. Sur le terrain, trois sont plus visibles (SOLSICO, UNIIC ET DYSICO).
La solidarité syndicale des infirmiers au Congo, SOLSICO en sigle, est le plus ancien de tous, et celui-là même qui a remporté plusieurs luttes sociales.
La dynamique syndicale des infirmiers du Congo (DYSICO) est un dissident de SOLSICO, tandis que, L’Union National des Infirmiers et Infirmières du Congo (UNIIC), est née dans la tentative avortée de l’ANIC (Association Nationale des Infirmiers du Congo, devenue actuellement ONIC), de vouloir réunir tous les dissidents au sein d’une seule structure syndicale capable de porter les revendications des infirmiers, et faire entendre la voix de ceux derniers auprès du gouvernement.
Sur le plan socio-professionnel, nous pouvons relever quelques réussites syndicales. De la mise en place d’une Direction de Nursing dans les hôpitaux, à la prime de risques accordée aux infirmiers, en passant par la mécanisation de plusieurs infirmiers, tels sont les acquis de la lutte à mettre dans les actifs des syndicats des infirmiers.
Toutefois, beaucoup reste à faire. La majorité d’infirmiers touche un salaire et une prime de misère. Plusieurs parmi eux ne touchent ni salaire ni la prime de risques, et cela pendant plus de dix ans d’exercice pour les uns, voire plus pour les autres. Pourtant, certains sont mécanisés, et d’autres demeurent nouvelles unités pendant plusieurs années après leur affectation, sans que l’administration s’en offusque. Une situation déplorable, rencontrée nulle part ailleurs, seulement en RDC.

La lutte syndicale actuelle est plus orientée sur la mécanisation et l’alignement à la prime de risques de ces milliers d’infirmiers victimes d’un système administratif corrompu. Aussi, les syndicats se préoccupent à obtenir l’avancement en grande, les indemnités de transport et de logements à travers les différentes discussions avec le banc gouvernemental, souvent considéré comme moins sincère dans ses engagements par le fait qu’il ne tient pas parole.
En plus, les syndicats des infirmiers attendent du gouvernement l’octroi d’un statut spécifique aux infirmiers et la ratification de la convention 149 de l’OIT (organisation internationale du travail) sur le personnel infirmier.
« Qu’est-ce qu’elles ont fait hier, qu’est-ce qu’elles font aujourd’hui et qu’est-ce qu’elles feront demain, pour améliorer les conditions de formation, de travail et des vies des infirmières ?»
La même question a été adressée aux autorités du pays afin de justifier l’action gouvernementale orientée dans la valorisation de la profession infirmière, colonne vertébrale du système de santé de la RDC.
Au début des années soixante, et la décennie suivante, l’infirmier était parmi les grands évolués du pays. Sa formation et les fonctions qu’il occupait lui permettaient de mener une vie décente.
Les différentes crises qu’a connues notre pays, la RDC, n’ont pas épargné l’infirmier et son milieu de travail.
L’infirmier du secteur public a vu son pouvoir d’achat s’effrité. Celui-ci devrait affronter à la fois la stagnation de son salaire malgré l’inflation galopante d’une part, et les non-paiements de salaire devenus monnaie courante, d’autre part.
A cela s’ajoute la non mise en retraite malgré le vieillissement du personnel infirmier dans les hôpitaux et autres établissements de soins.
Le gouvernement s’est toujours montré réticent quant à la résolution des problèmes sociaux de l’infirmière, par contre, il en crée d’autres.
Dans le volet formation de l’infirmière. Plusieurs écoles de formation des infirmiers (secondaire et supérieur) sont créées à travers le pays. La majorité de ces écoles ne répond à aucun critère de viabilité. En conséquence, nous assistons à la baisse sensible du niveau d’études des infirmiers. Le marché d’emploi est inondé d’un personnel infirmier dont la qualité laisse à désirer.
Face à un salaire de misère et mécontent du phénomène non-payé, nouvelle unité à vie, une franche des infirmières compétentes préfèrent s’expatrier.
Dans la même veine, malgré l’Universitarisation de la formation des infirmiers avec la mise en œuvre effective du système LMD, nous sommes loin d’assister à l’amélioration des conditions de formation des infirmiers étant donné que les normes en la matière ne sont pas respectées.
Le même constat est fait sur les conditions de travail et des vies des infirmiers. Les infirmiers sont toujours en première ligne dans la prise en charge des patients en cas de d’épidémie, de pandémie ou d’autres épisodes maladies de communauté. En revanche, ils travaillent dans les conditions les plus déplorables, manquant même le minimum pour leur propre protection. Sa rémunération insignifiante et discriminatoire ne peut lui permettre de vivre décemment.
Le gouvernement est celui-là même qui entretient la discrimination. Peu d’infirmiers sont promus aux postes de commandement au sein du ministère de la santé publique, souvent dominé par une seule catégorie professionnelle.
Toutefois, il faut saluer la promulgation de la loi sus évoquée par le gouvernement en 2016, c’est après une longue lutte. Cette loi accorde l’autonomie et l’indépendance à la profession infirmière en RDC, mettant fin à l’auxilliarisation décidée par le colon belge.
Notons également que l’actuel Inspecteur général, deuxième personnalité du ministère de la santé, exæquo avec le secrétaire général de la santé, de la santé est un infirmier. Un acquis majeur pour la profession infirmière.
Une rencontre gouvernement, syndicats et ordre national des infirmiers de la RDC est-elle possible ? Pourquoi faire ?
Le président national de l’ONIC, André Louis KOMBA DJEKO a lancé un appel en faveur d’une rencontre autour d’une table pour élaborer des politiques et des stratégies pour valoriser, protéger, respecter et investir dans les infirmières pour un avenir durable des soins infirmiers et de la santé.
« Il est presque temps, que le gouvernement, les syndicats des infirmiers ainsi que l’ordre national des infirmiers de la RDC, se mettent ensemble autour d’une table pour élaborer des politiques et des stratégies, pour valoriser, protéger, respecter et investir dans les infirmières pour un avenir durable des soins infirmiers et de la santé. » A-t-il souligné dans son discours.
Certes le contour d’une telle rencontre reste à déterminer. Il est de droit pour nous de supputer sur les chances de son aboutissement.
La détermination et le leadership du président national de l’ONIC, sont les premiers atouts à considérer.
L’ONIC dispose d’un certain nombre des revendications à présenter au gouvernement, tout en sachant que notre pays est le champion de non-respect de ses propres textes.

Partant de l’application sans faille de la loi no16/015 du 15 juillet 2016 portant création, organisation et fonctionnement de l’ordre national des infirmiers de la RDC, l’ONIC devrait obtenir du gouvernement le respect de l’article 5 de la loi sus-évoquée qui stipule : « Nulle ne peut exercer la profession infirmière en RDC s’il n’est inscrit au tableau de l’ordre. »
Car le gouvernement est celui-là même qui affecte et maintienne au service les infirmiers non-inscrits au tableau de l’ordre, au mépris total de la loi.
Aussi, la loi sus-évoquée reconnaît à l’ONIC le droit d’intervenir sur le processus de formation et d’évaluation de la compétence professionnelle des infirmiers. Surtout sa participation à l’élaboration et à la validation des programmes de formation des infirmiers à tous les niveaux.
Aucune collaboration n’est établie à ce jour, entre le ministère de l’enseignement supérieur et universitaire, et l’ONIC pour qu’ensemble soit mis en place un cadre de concertation devant faciliter l’application de cette disposition légale. De même, aucun cadre de concertation n’existe entre l’ONIC et le ministère de santé publique, formateur des infirmiers diplômés, et utilisateur des infirmiers.
L’ONIC devrait également plaider pour la création d’une « Direction des soins infirmiers » au ministère de la santé publique.
Dans l’optique de la mise en œuvre effective de la Couverture Santé Universelle en RDC, la Direction de soins infirmiers sera d’une importance capitale étant donné la place qu’occupe les soins infirmiers dans la prise en charge holistique des malades, des familles et des communautés.
Enfin, il sera question pour l’ONIC, ensemble avec les syndicats des infirmiers, de soutenir l’amélioration des conditions de travail et des vies des infirmières, à travers des revendications sociales claires, consensuelles et réfléchies.
HDM
